L'école : Un chantier de déconstruction
A l’obligation de signer ce contrat, s’ajoute l’obligation de résultats, en terme de reprise effective des cours par l’élève mais aussi de résultats scolaires. Le caractère coercitif de cette mesure en oblitère d’emblée toutes les chances de réussite. Pour les familles qui cumulent déjà nombre de difficultés, elle les fragilise et les stigmatise encore plus. Pour les professionnels elle remet en cause le fondement même de leur travail qui pour réussir doit s’établir nécessairement sur des relations de confiance, et sur l’adhésion volontaire des propres intéressés.
Dans la continuité du plan Borloo qui prévoit d’externaliser le traitement social des situations de difficultés sociales et scolaires par les équipes de réussite éducative, le service social scolaire est totalement ignoré. L’Etat se désengage et continue de réduire le nombre de personnels dans les établissements, remettant un peu plus en cause la notion d’équipes pluridisciplinaires agissants conjointement sur le terrain pour la réussite des élèves. Le mérite devient le critère pour bénéficier d’une aide (triplement des bourses au mérite, intégration dans des internats d’excellence...). Les difficultés, l’échec sont sanctionnés par un processus d’exclusion du système.
L’attaque est plus subtile. Elle prend la forme de la protection et du renforcement : Nouveaux critères de classement, Arrêt du saupoudrage de moyens. Elle n’en confirme pas moins le renoncement à assurer la réussite de tous, toujours en se présentant comme une réponse réaliste : Diversification pédagogique, bagage technologique « concret » pour combler le fossé entre les élèves et la culture scolaire. La volonté d’accentuer son rôle de gestion sociale, compassionnelle, des inégalités, se renforce. Ces mesures ne s’accompagnent d’aucun moyens supplémentaires. Elles vont conduire à des redéploiements et à un redressement sensible de la carte des ZEP : 200 à 250 établissements les plus difficiles choisis parmi les 900 classés ZEP seront labellisés collèges « ambition réussite » ainsi que les écoles qui leur sont rattachées. De nombreuses écoles et collèges sortis de cette carte vont se retrouver confrontés à des difficultés accrues.
Ces annonces sont caractérisées par la quasi-absence de mesures concernant l’école primaire, excepté la réaffirmation de l’abandon d’une méthode globale que pratiquement plus personne n’utilise, alors que c’est à ce niveau que se construit l’entrée dans la « culture écrite » et que se constituent, pour une part décisive, les « inégalités scolaires ». L’amélioration des conditions de travail et d’enseignement, la stabilisation des équipes sont absentes. Les mesures dérogatoires souvent inefficaces mais qui permettent des contournements statutaires vont se multiplier ( contractualisation des projets, profilage des postes...). Pour les élèves, l’individualisation du parcours autour notamment de la notion de socle commun et la mise en avant du « mérite » vont avoir pour principal effet l’accentuation du tri social et des évictions précoces du collège.
L’Education Nationale amplifie une politique de « dégraissage » qui interdit d’assurer la réussite de tous. Les choix budgétaires expriment les non dits du gouvernement : le choix d’une politique de désengagement de l’Etat et d’une école ségrégative pour les plus pauvres. Selon la note d’information du ministère de décembre 2005, la dépense d’éducation recule, "la France a consacré 116,3 milliards d’euros en 2004 à son système éducatif, soit 7,1% du PIB". En euros constants, elle aurait augmenté de 1% de 2003 à 2004. Mais sa part dans le PIB est passée de 7,6% en 1995 à 7,2 en 2003 et finalement 7,1% en 2004.
Soit on accepte ces inégalités comme intangibles, résultant de l’inégale distribution des aptitudes, qu’elles relèvent de « dons » ou d’un « handicap socioculturel », et toute action est impossible. Le système éducatif, par la sélection scolaire prend alors acte d’inégalités qui préexistent à son intervention. C’est le choix libéral de la mise en place d’un nouvel ordre scolaire, fondé sur l’assujettissement de l’école à la raison économique, productrice non de savoirs mais d’employabilité et légitimant les inégalités à travers la théorie du « capital humain » et le calcul rationnel de l’individu. C’est l’école à plusieurs vitesses où l’éducation de haut niveau n’est plus un droit universel, c’est un investissement que chacun fait en fonction des profits ultérieurs qu’il en espère. Le seul droit universel qui reste est celui du socle commun, le SMIC culturel. Ce projet porté par les libéraux et poussé par les instances internationales ( experts de la banque mondiale, de l’OCDE et de la commission européenne) est celui qui se met en place, décision après décision, sous nos yeux.
Soit on prend acte de l’éducabilité universelle de tous les élèves. Il s’agit alors d’ouvrir le chantier de la démocratisation scolaire, de ce qui lui fait obstacle, de la résistance des inégalités à plusieurs années de lutte contre l’échec scolaire. L’issue est alors dans le choix d’une politique d’urgence, massive, qui traite les problèmes le plus précocement possible, dés l’entrée dans la culture écrite. Ce choix n’est possible que par la mobilisation, la formation, des personnels qui sur le terrain, confrontés aux difficultés, n’ont souvent le choix qu’entre la peste et le choléra. Le gouvernement joue au pompier pyromane. La gauche doit lui répondre par un véritable projet alternatif.